Le numérique pour éduquer à l'environnement

12 mai 2025 13:08

Mars 2025, propos recueillis par Christophe Dubois
Un article du magazine Symbioses n°143 : Du clic au dé-clic 

Coordinateur d’une association d’éducation à la nature, Gatien Bataille est aussi spécialiste de l’usage du numérique à des fins collaboratives et pédagogiques. Un oiseau rare dans un secteur de l’éducation à l’environnement souvent techno-méfiant. Interview.

En quoi le numérique peut-il être utile lors d’une animation d'éducation à l'environnement ?

Le premier avantage, c’est d’ajouter d’autres formes d’interactions. Activer le numérique lors d’une animation, y compris lors d’activités en pleine nature, peut ajouter de l’interactivité plus facilement qu’avec des feuilles plastifiées. Par exemple, à l’aide de certaines applications sur son smartphone, le participant peut scanner un QR code placé à tel endroit et lancer une vidéo, un son, des infos ou un jeu (1). Il y a aussi tous les outils de cartographie, qui permettent de dessiner plus facilement l’itinéraire d’une balade, d’en calculer la distance, de trouver son chemin en pleine nature, ou d’alimenter tous ensemble une carte participative sur OpenStreetMap, avec des enregistrements et des photos qu’on aurait pris… Tout cela permet de titiller les élèves qu’on a en face de nous, qui sont nés dans le numérique et pour qui il fait partie de l’environnement quotidien.
Il y a aussi une série d'applications – comme Plantnet, Birdnet ou Merlin – qui permettent d’identifier les espèces en photographiant une plante ou en enregistrant un chant d’oiseau… Certaines applications permettent même de rendre audibles les cris des chauves-souris pourtant imperceptibles à l’oreille. Grâce à ces applications, certains enseignants ou animateurs, qui avaient peur de ne pas avoir assez de connaissances pour emmener leurs publics dans la nature, osent désormais y aller.

Un bon manuel d’identification en papier ne suffit plus ? 

Evidemment, on peut toujours reconnaître les espèces avec une clé de détermination dichotomique classique, imprimée sur une feuille de papier. Mais c'est beaucoup plus compliqué. Cela peut paraître étrange, mais une application mobile peut permettre une autre connexion avec le vivant, plus simple et interactive. C’est une porte d’entrée, mais ensuite, l’animateur doit prendre le relais et expliquer comment reconnaître l’espèce sans son smartphone, inviter à vraiment écouter, toucher et observer la nature, expérimenter, proposer d’autres démarches et activités.
Le numérique, c’est : aussi peu que possible, mais autant que nécessaire. Il ne faut pas confier toute l’animation à un outil numérique. Il faut pouvoir s’en libérer et utiliser d’autres approches. Et inversement, ne nous interdisons pas de l’utiliser, même si le numérique a une série d’impacts sur l’environnement, qu’on en a déjà assez à la maison, que ça coupe le lien avec le vivant… 

Le numérique permet aussi de toucher un plus grand nombre de personnes. Comment l’avez-vous expérimenté au CRIE de Mouscron, l’association que vous coordonnez ?

Nous avons plusieurs exemples de projets ou d’animations qui ont sauté d’échelle grâce au numérique (2). Je pense notamment à nos animations « mangeoires ». Initialement, nous prodiguions nous-mêmes ces animations d’observation des oiseaux, ce qui nous permettait de toucher environ 400 enfants par an. Puis, on a décidé de développer une campagne qui proposait aux gens d’animer eux-mêmes leurs élèves ou leurs voisins, en s’appuyant sur des kits en ligne comprenant cinq animations, une série d’outils clé sur porte, avec des petits tutos, des vidéos, des plans de mangeoires, du collaboratif, etc. Ça s’appelait La mangeoire du quartier, qui est devenue La mangeoire de l’école. Les écoles se sont inscrites en nombre. Cela a permis de toucher plus de 10000 enfants. Evidemment, ce n’est peut-être pas la même chose que si l’animation était donnée par un professionnel de l’animation nature, mais on a vraiment conçu la méthode pour que ce soit le plus proche possible.  
Je pense aussi à Osons la nuit, invitant à passer une nuit à la belle étoile, ou encore à C’est cui-cui chante, un parcours de formation numérique à suivre en autonomie, pour apprendre à reconnaître les chants d'oiseaux, par le biais de 10 leçons qu’on reçoit par mail à intervalle régulier : 3000 personnes ont suivi la première session. Ça a dépassé les frontières. Ou encore nos formations sur l’école du dehors : depuis qu’on les propose aussi en format webinaire, elles ont été suivies par plus de 2000 enseignant·es. Le confinement lié au Covid a donné un coup d’accélérateur à ces pratiques, il a permis de les tester et de les juger en conscience.

Il y a un autre numérique que celui des géants du web

Dans vos projets et formations, vous insistez sur le numérique en tant qu’outil de partage de pratiques et de collaboration…

Vu les urgences écologiques, un grand enjeu pour l’éducation à l’environnement est que l’on documente tout ce que l’on fait, réussi ou pas, et qu’on le partage pour inspirer et progresser collectivement (3). Le numérique le permet beaucoup plus facilement qu’un courrier postal. Autre avantage du numérique : il facilite la collaboration avec tel expert à l’autre bout du monde, ou encore il permet de travailler à plusieurs centaines de personnes sur un même projet.

N’est-ce pas antinomique de faire de la formation sur l’école du dehors en restant à l’intérieur, derrière son écran ?

Quand vous regardez une recette sur Marmiton ou une balade sur un site de randonnée, c’est pour la faire. C’est la même chose pour les formations ou les kits d’animation en ligne. Notre intention est évidemment que les personnes quittent leur écran et aillent sur le terrain pour tester ce qu’on leur propose. Au CRIE de Mouscron, on s’oppose à la captologie développée par les GAFAM (4), qui ont transformé le web en un supermarché, parviennent à nous capter et nous maintenir le plus longtemps possible sur nos écrans. Nous, on utilise et on promeut essentiellement des logiciels libres et libérateurs. Il y a un autre numérique que celui des géants du web, un numérique plus éthique, plus convivial, comme l’entendait le philosophe Ivan Illitch : un outil qui élargit ton pouvoir d’agir, qui ne te coince pas dans un type d’utilisation ou de contexte, et qui ne fait de toi ni un maître, ni un esclave. Pour nous, les outils sont au service des humains et pas l’inverse.
L’éducation, c’est aller où sont les gens. Or, ils sont sur le web et sur les réseaux sociaux. Tendons-leur la main pour leur montrer qu’il y a d'autres numériques.

Et que répondez-vous à celles et ceux qui refusent d’utiliser le numérique pour des raisons environnementales ?

Je ne vais certainement pas nier les impacts écologiques du numérique. Mais il faut aussi relativiser : on parle de quel numérique et de quel type d’usage ? Que pèse l’utilisation d’une appli lors d’une animation, face poids du streaming vidéo (5), des spams, des réseaux sociaux ou de Google ? Et puis, si on voulait vraiment avoir un impact sur le climat, il faudrait surtout qu’on arrête de manger de la viande. Une heure de Netflix, c’est un gigaoctet, soit à peu près 0,15 kg d’équivalent CO2. Un steak de bœuf, c'est plus de 4 kg d’équivalent CO2. Optons surtout pour un autre numérique, peut-être un peu moins ergonomique, avec un peu moins d’options, mais beaucoup plus ouvert, plus éthique : Infomaniak, Framasoft, Nubo. D’autant plus aujourd’hui, où l’on voit que les grands acteurs de la tech, à qui on confie toutes nos données, se sont agenouillés devant un président américain fasciste, et qu’Elon Musk finance des partis d’extrême-droite européens.


(1) Par exemple, le CRIE de Mouscron est en train de concevoir un roadbook pédagogique, comprenant des enregistrements sonores sur l’histoire de la Terre, à utiliser dans une « balade du temps profond ».
(2) Retrouverez tous ces exemples sur le site de la formation Animateurice de projets 2.0
(3) En passant par des licences libres, comme le propose Prospectiv Lab
(4) La « captologie » désigne les techniques de design des interfaces destinées à capter l'attention des utilisateurs, voire à les rendre dépendants. GAFAM est l’acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, symbolisant quelques géants qui dominent le marché du numérique.
(5) Voir Pour une sobriété numérique, The Shift Project, 2018.


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