Une réflexion proposée par Sophie Malengreau, enseignante, formatrice et animatrice d’ateliers créatifs et de développement personnel

La maitrise de la lecture constitue un enjeu fondamental de réussite scolaire. Ce n’est pas un constat qui appartient uniquement aux professeurs de français : l’accès au savoir dépend largement de la compréhension des textes écrits. C’est dans ce contexte que l’enseignement explicite des stratégies de lecture prend toute son importance.

De quoi parle-t-on exactement ?

Tout le monde connait « l’enseignement explicite » mais cette appellation est souvent utilisée dans des contextes qui n’intègrent pas toutes les dimensions de cette pédagogie. Alors, de quoi s’agit-il ? 

Tout d’abord, l’enseignement explicite consiste à rendre visibles des processus cognitifs que les lecteurs experts mobilisent de manière souvent implicite. Si vous vous observez quelques minutes pendant la lecture d’un roman, vous constaterez que vous fabriquez – inconsciemment ou non – un « film » dans votre tête qui défile au fur et à mesure de l’histoire. Être capable de créer ce film est possible si vous avez acquis une stratégie qui consiste à fabriquer une « représentation mentale ». En tant que lecteur expert, vous avez automatisé cette compétence. De nombreux élèves ne la possèdent pas… et beaucoup d’entre eux ne l’acquerront jamais à moins de leur donner l’occasion de la découvrir et de l’entrainer.

Ensuite, l’enseignement explicite est un enseignement très structuré, progressif et guidé. L’enseignant modélise les stratégies de compréhension, les verbalise, les met en pratique avec les élèves, puis les accompagne dans leur appropriation autonome. Dans son étude de grande ampleur, Roland Goigoux[1] met en évidence que les élèves progressent davantage lorsque les enseignants leur font prendre conscience des opérations mentales qui sous-tendent la compréhension, plutôt que de se limiter à des questions de vérification.

Enfin, ces stratégies de lecture concernent l’ensemble des disciplines : il est important que tous les professeurs outillent les élèves pour qu’ils puissent accéder aux savoirs : c’est de cette façon que l’on pourra réduire les inégalités scolaires liées à la maitrise de la langue de scolarisation.

Concrètement, quelles sont les pistes pédagogiques efficientes ?

L’enseignement explicite est une pédagogie qui se base sur des données probantes. On sait qu’il est efficient pour 80% des élèves, particulièrement pour les élèves en difficultés. Il repose sur des principes récurrents : la modélisation des stratégies (l’enseignant explique comment il utilise la stratégie comme s’il mettait son cerveau sur haut-parleur), les interactions autour du texte (dans une visée métacognitive) et des exercices d’abord guidés et progressivement autonomes pour mobiliser les stratégies (séparément dans un premier temps, assemblées par la suite).

L’utilisation d’outils visuels – comme des tableaux d’ancrage – enrichit la structuration de l’élève : les éléments essentiels du cours sont ajoutés au fur et à mesure des apprentissages.

 

Tableau d’ancrage utilisé dans le cadre du travail sur les stratégies de lecture du dossier informatif en 2^e année

On pointera également le travail sur le lexique qui est crucial pour accéder aux savoirs mais également adopter une posture réflexive : les mots sont en effet indispensables à la pensée et les élèves doivent donc enrichir année après année leur bagage lexical mais également posséder un lexique scolaire.

Quelles sont les stratégies de lecture à enseigner ?

De nombreuses stratégies forment un ensemble incontournable dès les premières années de l’apprentissage de la lecture : anticiper la suite d’un texte, faire appel à ses connaissances antérieures ou encore se servir du paratexte (comme les illustrations) sont, par exemple, des stratégies déjà utilisées dans l’enseignement maternel.

Par la suite, elles seront affinées, plus complexes : des stratégies comme l’auto-régulation de sa compréhension, la reformulation, l’évaluation apparaitront au fur et à mesure de l’acquisition des différents mécanismes. Le repérage d’un risque de polysémie est une étape supplémentaire dans la gestion autonome du lexique.

En fait, certains élèves connaissent ces stratégies et les utilisent inconsciemment mais d’autres ne les convoquent pas systématiquement : il faut donc les rappeler et les automatiser afin de s’assurer que chaque élève de la classe a eu l’occasion de les rencontrer et de les entrainer.

L’enseignement explicite des stratégies de lecture est un levier puissant pour améliorer la compréhension en lecture, réduire les écarts entre les élèves et favoriser la réussite de tous. Les apports des recherches conjugués aux recommandations pour le français langue de scolarisation (FLSco) nous invitent à penser à une didactique exigeante mais inclusive, qui donne à chaque élève les moyens de devenir un lecteur autonome et engagé dans ses apprentissages.