Apprendre aux élèves du premier degré secondaire des stratégies explicites pour construire un texte argumentatif

30 juin 2025 09:35

Une réflexion proposée par Sophie Malengreau, enseignante, formatrice et animatrice d’ateliers créatifs et de développement personnel

À l’adolescence, l’apprentissage de l’écriture argumentée constitue un pilier fondamental du développement de la pensée critique, de l’expression personnelle et de la réussite[1]. Pourtant, rédiger un texte argumentatif ne s’improvise pas. Face à cette complexité, l’enseignement explicite de stratégies d’écriture s’impose comme un levier pour accompagner les jeunes dans la maitrise de ce type de textes exigeant.

Le texte argumentatif demande de formuler une opinion, de la défendre avec des arguments logiques et cohérents, de les illustrer de façon pertinente et de structurer leur pensée dans un cadre normé, souvent un genre imposé. Pour de nombreux adolescents, la tâche est titanesque car les difficultés sont multiples : choisir une position claire, structurer un plan cohérent, mobiliser des connecteurs logiques, tenir compte du destinataire… Sans guidance, ces obstacles peuvent engendrer découragement et abandon.

L’élève, un « scripteur apprenti » ?

La bonne nouvelle, c’est que nous ne partons pas de rien ! Tous les élèves ont déjà pratiqué l’argumentation avant d’entrer dans l’enseignement secondaire, même en-dehors de la classe : « Il semble que les jeunes justifient[2] pour faire valoir le bienfondé de divers gestes et propos avec rigueur dans des contextes d’interactions sociales : ils plaident leur cause en quelque sorte de manière stratégique. Dans de telles interactions (souvent orales et en direct), les enjeux leur apparaissent plus importants et sont davantage liés à des intérêts personnels. Conséquemment, ils se soucient de la crédibilité de leurs propos en utilisant des faits, des preuves, des informations fiables. Ils choisissent les raisons à l’appui de leur propos de façon judicieuse en tenant compte des dispositions de leur interlocuteur. Leurs récits de pratiques de justification témoignent d’un réel savoir d’expérience en la matière.»[3]

Cependant, nous devons malheureusement parfois constater que « (…) leurs savoirs d’expérience montrent qu’ils savent et peuvent faire preuve de stratégie lorsqu’ils doivent justifier dans les interactions sociales, mais que ces savoirs ne sont pour la plupart d’entre eux pas utilisés en contexte d’écriture de textes justificatifs en classe de français. »[4]

S’appuyer sur le « déjà-là » ?

Enseigner de façon explicite signifie rendre visibles les étapes mentales et les démarches nécessaires à la réussite d’une tâche. Ce type d’enseignement favorise la métacognition et, par conséquent, l’appropriation consciente des stratégies d’écriture qui permet aux élèves de transférer ces compétences. Il est donc intéressant de déjà utiliser cette démarche dans un premier temps pour (ré)activer des compétences « inconscientes » qui seront nommées, décomposées et pratiquées. C’est un véritable « puzzle » de savoirs d’expériences et de prérequis (parfois décontextualisés) à recomposer avec les élèves : la compréhension des connecteurs (en situation de lecture), l’émergence des idées (à l’aide d’un brainstorming  ou d’une carte mentale), la défense d’une opinion à l’oral, etc.

L’enseignement explicite : une démarche structurante

Apprendre ensuite de nouvelles compétences permettra d’offrir à chaque élève les clés pour structurer ses idées et développer son esprit critique. La démarche de l’enseignement explicite comprendra un travail sur chaque opération mentale attendue grâce à une modélisation[5], une pratique guidée[6], une pratique autonome croissante et des rétroactions ciblées. Cette façon de procéder aide les élèves à prendre confiance dans leurs capacités et à acquérir une autonomie rédactionnelle pas à pas.

Les quatre grandes étapes du processus d’écriture

De nombreux élèves ignorent encore dans l’enseignement secondaire que l’écriture est un processus : les mots ne jaillissent pas par miracle dans une structure cohérente. Les élèves apprendront donc que l’écriture est composée de quatre étapes qui ne sont pas linéaires : la planification[7], la « mise en texte » (rédaction), la révision et la réécriture (correction). Par ailleurs, une auto-évaluation constante sera nécessaire pour auto-réguler chacune des étapes et les interactions entre celles-ci.


Quelques exemples d’apprentissages pour la planification

o   Analyser les consignes et les exigences du travail.

§  Quel genre de texte dois-je écrire ? Qu’est-ce que je connais de ce genre ?

§  Combien de temps ai-je pour écrire mon texte ?

§  Combien de mots doit-il compter ?

§  Quels sont les critères d’évaluation ?

§  Quel est le matériel autorisé ?

§ 

o   Analyser la situation de communication.

C’est la situation de communication qui donne sens à l’activité d’écriture. Elle doit guider l’élève à chaque moment de la tâche. Il faut donc prendre le temps de l’analyser avant d’écrire.

§  Quel est le sujet du texte ?

§  Quel est mon point de vue ?

§  Qui est mon lecteur ? Que sais-je de lui, de ses connaissances, de ses intérêts ? Qu’est-ce que mon lecteur connait du sujet ?

§  Comment puis-je faire pour susciter son intérêt ?

§  Dans quel but j’écris ce texte ? Pour justifier une réponse ? Pour donner mon avis sur une œuvre ? …

§  Dans quel contexte j’écris mon texte ? Quel support est proposé par ce contexte ?

o   Observer des textes pour comprendre la démarche.

La lecture qui précède l’écriture permettra de prendre conscience des différents moyens langagiers et graphiques utilisés et de faire ressortir les caractéristiques du genre de texte.

o   Planifier le contenu de mon texte.

Les objectifs de cette étape seront de préciser le genre à écrire car le plan et le contenu en dépendront, de prendre connaissance du sujet, d’en apprendre davantage en recherchant de l’information, de formuler l’opinion (thèse) et de choisir des  arguments valables pour appuyer un avis personnel.

o   Élaborer le plan de mon texte.

En n’utilisant que des mots-clés ou des phrases très courtes, les élèves peuvent se concentrer sur l’organisation des idées et sur les liens entre celles-ci.

Que doit faire l’élève dans cette étape ?

       Organiser dans un ordre efficient les arguments qui appuient son affirmation,

       choisir ses procédés justificatifs,

       créer des liens entre thèse et arguments,

       choisir un titre provisoire (et éventuellement des intertitres si nécessaire) pour orienter l’écriture.

Des activités à mettre en place :

·         modifier un texte dans lequel le titre et les « connecteurs » auront été effacés,

·         à partir d’un texte sans introduction, amener les élèves à rédiger celle-ci afin de présenter la thèse et les différents arguments,

·         à partir d’un texte sans conclusion, inviter les élèves à écrire celle-ci afin de synthétiser leurs propos et d’ouvrir le sujet,

·         organiser les informations à l’aide d’un tableau (voir exemple ci-dessous).


Extrait de l’ouvrage de M. Cavanagh, Stratégies pour écrire un texte d’opinion, éd. La Chenelière 

o   Discuter de son plan avec d’autres élèves :

§  Formuler les critères en sous-groupes

§  Utiliser les commentaires dans un traitement de textes pour suggérer des modifications

§  Travailler en sous-groupes avec des arguments communs

Ces activités permettent aux élèves en difficultés de nourrir leur production grâce aux idées qu’ils peuvent recevoir et aux élèves les plus avancés d’évoluer grâce au langage métacognitif qu’ils devront déployer. C’est également une façon de « mettre à distance » sa production pour la réviser efficacement.

Une fois la planification construite, le plan devient un outil que l’élève consultera systématiquement jusqu’à la fin du processus d’écriture : ce plan guide pour ne pas s’éloigner du sujet, il allège la surcharge cognitive et il permet de greffer directement les connecteurs dont l’élève aura besoin lors de la rédaction.

Le plan est enfin un outil « vivant » : il peut être modifié au fur et à mesure de la réflexion. Il est donc un « écrit intermédiaire » parmi d’autres.

Une fois ces étapes de planification franchies, l’élève pourra mettre en place des stratégies de rédaction, de révision et de correction.

Une compétence essentielle dans la société actuelle

Dans un monde saturé d’informations et de débats, savoir défendre un point de vue de manière rigoureuse est une compétence citoyenne cruciale. En formant les adolescents à l’écriture argumentative, on leur donne les outils pour participer à la vie démocratique, déconstruire les discours fallacieux et exercer leur jugement de façon éclairée. Cette démarche intellectuelle est complémentaire de l’apprentissage de l’argumentation orale tout aussi essentielle dans notre société.




[1] Il s’agit d’une des compétences cognitives sélectionnées par l’OMS dans la liste des compétences psychosociales pour le bien-être et la réussite scolaire des élèves.

[2] Dans l’enseignement québécois, l’apprentissage du texte « justificatif » précède celui du texte « argumentatif », le second sous-entendant la présence de la contre-argumentation. Par conséquent, l'auteur du texte  « justificatif » partage son opinion mais il ne le fait pas à propos d'un sujet controversé. Ainsi, il ne cherche pas à convaincre son lecteur, il ne fait que présenter sa vision des choses. La critique, par exemple, est un texte justificatif dont le but est d'inciter les lecteurs à lire ou à ne pas lire, à voir ou à ne pas voir l'œuvre en question. Par contre, la lettre ouverte, l’éditorial, la dissertation sont des textes argumentatifs : l’auteur prend position par rapport à une question controversée et il cherche à convaincre son lecteur d'adopter son point de vue. 

[3] Extrait du site du RIRE (Réseau d’Information pour la Réussite Scolaire).

[4] Extrait du site du RIRE (Réseau d’Information pour la Réussite Scolaire).

 

[5] L’enseignant montre dans cette étape comment planifier, rédiger et réviser un texte argumentatif. Il fait l’exercice comme le ferait un élève, tout en expliquant ses « pensées » lorsqu’il réfléchit, analyse, écrit…

[6] Les élèves sont accompagnés dans la pratique, souvent en sous-groupes pour échanger leurs idées, et guidés par le professeur.

[7] Une étape où il est essentiel de promouvoir deux outils incontournables : le plan et « l’écrit intermédiaire ».

 


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