Michel s'est porté volontaire. L'école Denfert fait face à l'absence de la maîtresse des grands, qui s'est foulée la cheville. Julie, la directrice de l’école a donc demandé du renfort, d’autant qu’elle fait venir aujourd’hui des intervenants extérieurs pour parler aux enfants des dangers du numérique.
Convaincu de la nécessité d’établir une éducation numérique à tous les niveaux, surtout depuis son arrivée au lycée, Michel ne veut pas en manquer une miette.
Et une chose est sûre… il ne risque pas d’oublier sa journée.
Julie accueille les deux intervenants de l’association ISSA France. Tout ce petit monde s’installe dans un fracas de courte durée dans une salle de classe surchargée de dessins, d’affiches, de cartes géographiques colorées…. Retour en enfance pour Michel qui, accompagné de Julie s’installe au dernier rang.
« Est-ce que vous savez pourquoi nous sommes là ? » lance l’intervenante. Les mains des enfants, âgés de 9 et 10 ans, s'élèvent. Ça y est, la séance commence.
Pas de présentation powerpoint, note Michel. Manifestement les intervenants ne sont pas là pour dérouler une conférence, ils veulent faire parler les enfants.
« Qui a son propre téléphone ? » : Un bon tiers lève la main.« Qui utilise un téléphone ? » : 90% de la classe pointe le doigt vers le ciel.
« Qui dort avec un téléphone ou une tablette dans sa chambre ? » Une dizaine d’élèves se fait connaître.
« C’est quoi votre téléphone ? », « à quelle occasion as-tu reçu ton iPhone 11 ? » La valse des questions se poursuit.
« Papa m’a installé WhatsApp car tout le monde dans mon club de foot l’avait pour échanger », « Je l’ai eu pour mes 10 ans », « Maman m’a donné son vieux Samsung Galaxy S5 », « J’ai droit jusqu’à 21h »…
Michel est abasourdi par ce qu’il voit et entend sortir de la bouche des enfants.
Itinéraire d’un message, concept de confidentialité et de secret, mémoire d’Internet, comportements en ligne, jeux, âges requis, règles, dangers, les sujets se succèdent avec des mots simples, des anecdotes, de longs moments d’écoute. Les intervenants adaptent sans cesse leur message au fil des réactions des enfants et vont crescendo dans les sujets qui se font plus sensibles. Les enfants sont happés, certains ont le doigt levé en permanence, d’autres ont les épaules basses, ils ne rigolent pas.
L’ambiance s’alourdit…
Arrive le moment où les enfants, sont invités pour ceux qui le veulent, à raconter quelque chose de marquant.
Michel remarque que depuis le début, pendant qu’un des intervenants s’exprime, l’autre scrute du regard les enfants.
Malgré le masque, Jonathan, 9 ans, semble rassembler tout son courage pour parler à sa classe. Son expression laisse place à un pesant silence de la part de ses camarades. Michel se fige. Sa voisine aussi.
Jonathan raconte le harcèlement dont il a été victime pendant 3 ans, son mutisme, son hospitalisation, son changement d’école. À cet instant, Michel voit un être en souffrance … qui se livre. Un enfant c’est censé rire, jouer, apprendre. Les intervenants remercient Jonathan de l’immense courage dont il a fait preuve. Julie lui pose une main rassurante sur l’épaule.
Les récits s’enchaînent. Si certains sont sans commune mesure avec le calvaire de Jonathan, Michel est frappé par ce qui peut se passer dans la tête d’un enfant, prend conscience que le recul qu’un adulte peut avoir, un enfant en construction ne l’a pas. Une petite fille au regard déterminé, Joy, raconte pour sa part avoir été moquée dans le forum d’un jeu à cause du bazar qu’il y avait dans sa chambre. Anodin !? Non, pas dans la tête de Joy.
Alors que Michel écoute la gorge serrée, un intervenant s’approche discrètement d’une petite fille assise contre le mur. Il met du temps à comprendre ne la voyant que de dos. Elle semble prostrée sur sa chaise. La petite Melissa a en fait littéralement fondu en larmes en silence derrière son masque… L’intervenant jette un regard à Julie qui se lève aussitôt et propose à l’enfant de parler dans le couloir en tête à tête, ce qu’elle accepte se jetant presque dans ses bras.
Michel en pleurerait presque. Quelques minutes plus tard, Julie revient le visage marqué, « C’est dur à supporter » se confie t-elle « mais sans ces interventions, les enfants se taisent. C’est le seul moyen qu’on a trouvé et ça marche. C’est déchirant, ça nous retourne mais là ils parlent et ça nous permet de désamorcer pas mal de situations ».
« !?…. Mais comment a t-on pu en arriver là, sérieux ? De quel droit fait-on subir ça à des enfants ? » Michel est partagé entre consternation et colère et un sentiment très étrange de culpabilité.
Les intervenants terminent sur des notes plus légères avant de libérer les enfants.
Jonathan, lui, a toujours le visage fermé, la tête ancrée dans les épaules, il fixe la table. Julie parlera encore un long moment avec lui.
Les prénoms et les circonstances ont été changés mais ce récit est vrai et reflète une réalité bien présente.Nous sommes à l’heure zéro. Tout peut basculer dans un sens ou dans un autre.
Soit l’Education Nationale en premier lieu, les établissements scolaires, les personnels médico-sociaux avec les associations collaborent en s’acceptant comme le maillon d’une chaîne salvatrice pour informer largement les familles et oeuvrer avec elles sans les infantiliser, soit chacun continue d'estimer que ce n’est pas de sa responsabilité et alors, ces récits se multiplieront et nous pourrons généraliser nos interventions dès la maternelle.
Dès l’âge de 9 ans jusqu’au lycée, un enfant devrait pouvoir bénéficier d'un atelier régulier au moins annuel, avec divers intervenants pour varier les discours, ce qui serait déjà un socle solide.
En attendant, à l’ISSA France, nous nous tenons prêts aux côtés des âmes courageuses (associations de parents, conseillers d’orientation, directeurs d’établissement, maîtresses et maîtres d’écoles, professeurs) pour agir .
Diane Rambaldini – ISSA France Security Tuesday – Présidente cofondatrice
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3 avril 2024 07:20