Salon Educ

Les mots de Bruno : Tous les arbres poussent

Publié par Bruno Humbeeck* le 26/12/2021

On ne répètera jamais quel dégât peut produire l’évaluation scolaire quand elle s’attaque à la construction identitaire de l’enfant. C’est ce qui se produit notamment quand un papa ou une maman, en comprenant de travers ce qu’elle signifie, dissocient mal l’évaluation du jugement. Une faible note (et même une collection de faibles notes) de l’enfant ne signifie pas qu’il est mauvais à l’école ou, pire, qu’il n’est pas intelligent mais signale seulement que les apprentissages prennent du temps à se réaliser.

Des mauvais points en série ne veulent pas non plus systématiquement dire que l’enfant ne travaille pas suffisamment mais ils indiquent davantage que l’enfant a besoin d’un support pour adapter ses méthodes de travail ou se faire expliquer autrement (ou par un autre élève dont les mécanismes de compréhension se rapprochent plus des siens) ce qu’il ne comprend pas.

Un “Fais un effort” quand on a déjà l’impression de faire le maximum ou un “Tu peux faire mieux” alors que l’on éprouve déjà le sentiment de donner le meilleur de soi et que ce “mieux”, il est en réalité, comme chez chacun, extrêmement variable d’un jour à l’autre, d’une matière à l’autre, c’est souvent extrêmement décourageant. C’est pour cela qu’il vaut toujours mieux ne rien dire, sourire de façon bienveillante et demander calmement à l’enfant ce qu’il pense lui-même de sa note, comment il perçoit, lui, son résultat non pas évidemment pour le pousser à l’auto-critique mais pour connaitre réellement son point de vue.

L’enfant qui dit: “Ca, je ne comprends pas !”; qui affirme: “Ce morceau de matière j’ai besoin qu’on me le ré-explique.” ou qui repère lui-même les parties de sa matière qui n’ont pas été suffisamment étudiées, cet enfant là n’est pas en train d’échouer. Au contraire, il apprend à poser, dans sa manière d’envisager l’échec, les jalons de ses futurs succès.

Lâcher-prise, c’est souvent se taire et laisser s’exprimer, sans la moindre pression l’enfant à propos de ce qu’il vit quand il apprend et de ce qu’il perçoit quand il reçoit les résultats de ses apprentissages.

A un “Je suis perdu dans cette matière. Je ne comprends plus rien” ou pire “Je suis nul” ne doit pas alors correspondre un mouvement de panique mais au contraire un geste d’appui par lequel on lui affirme qu’on va l’aider à s’y retrouver en faisant la lumière sur ce qu’il connait, ce qu’il ne connait pas et ce qu’il connait insuffisamment et que ce qu’il perçoit comme une forme de nullité tient essentiellement au fait qu’il est perdu et qu’il ne se sent pas suffisamment soutenu pour retrouver son chemin.

Que l’on arrête de prendre les zéro sur dix pour des symptômes de nullité, les notes inférieures à cinq pour des signes de retard face à la moyenne et les points qui peinent à s’élever au-dessus de la moitié pour des indices de médiocrité ! Toutes ces cotations ne sont pas là pour cela. Elles sont juste utiles pour indiquer que des apprentissages ne sont pas arrivés à maturité, que certains sont demeurés à l’état de bourgeons et que d’autres, à peine fleuris, demeurent très fragiles...

C’est toujours beau un arbre qui pousse quand on le laisse grandir à son rythme. Les enfants, à l’école, sont un peu comme ces arbres. Ils grandissent et certains le font plus vite que d’autres. Les plus petits alors, dans l’ombre des plus grands qui se poussent du houppier peinent à trouver la lumière dont ils ont précisément besoin pour grandir. Pour reprendre de la force, certains alors entrent en dormance, d’autres freinent leur maturité. Ils ne le font pas par paresse, ni même par découragement mais, par sagesse, pour prendre le temps de renforcer leur tronc parce qu’ils devinent que celui-là devra porter des branches et que s’il est trop fragile, il n’y parviendra pas.

C’est la leçon que nous donnent les arbres quand on prend le temps de les regarder pousser. Ils prennent le temps de croître et tous, parce que c’est le principe de la vie, finiront par trouver leur place, à des rythmes différents, pour s’assurer la part de lumière nécessaire à leur existence. Aucun arbre, dans une forêt ne meure d’immaturité et tous, absolument tous, du plus petit arbuste au plus grand chêne, grandissent en regardant vers le ciel.

Et puis l’école, il faut bien le dire, ce n’est pas vraiment organisé comme une forêt. En tout cas, ce ne doit jamais être une jungle. Cela gagne sans doute à être regardé comme un verger dans lequel chaque arbre, à son rythme, devra faire naître des fruits... Or, on le sait, si l’on veut que l’arbre fructifie sereinement, il faut évidemment éviter de considérer que, parce que les fruits mâturent lentement, ses branches sont pourries et qu’il faut dès lors, en renonçant à toute patience, se résoudre au plus petit signe de maturité tardive, à l’élaguer brutalement en décrétant qu’en définitive il n’a rien d’un arbre fruitier et qu’il est juste bon à servir de bois morts.
En prenant les notes de leurs enfants pour des bulletins de santé qui qualifient et disqualifient sans ménagement, certains parents se transforment parfois en véritables bucherons. On ne reproche pas à un arbre de ne pas pousser assez vite ou de ne pas faire d’effort pour pousser droit, on le laisse faire en essayant le mieux possible de lui donner sa part de lumière et, surtout, surtout, on ne la menace pas d’une tronçonneuse dés qu’il prend un peu de retard par rapport à ses voisins qui ont choisi de grandir un peu plus vite ou de fleurir un peu plus précocement.

Lâcher-prise face aux évaluations, c’est avoir confiance dans cette idée que les enfants sont comme des arbres, qu’ils se développent toujours mais pas nécessairement au rythme des autres et que les seuls arbres qui meurent, dans un verger, ce ne sont jamais que ceux que l’on abat brutalement, que l’on ébranche sans discernement ou que l’on étête aveuglement...

Tous les arbres poussent et même les plus fragiles d’entre eux y parviennent pour autant qu’on mette à leur disposition des tuteurs qui les soutiennent pour grandir et surtout pas des bucherons qui ne pensent qu’à en faire du petit bois..."
Br. H.

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* HUMBEECK Bruno est psychopédagogue et auteur de nombreuses publications dans le domaine de la prévention des violences scolaires et familiales, de la maltraitance, de la toxicomanie et de la prise en charge des personnes en rupture psychosociale et/ou familiale. Il travaille à l'université de Mons. Retrouvez ces publications sur son site : www.outilsderesilience.eu


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