Si vous passez près d’une école vers 10h30 ou 13h, vous risquez d’être confronté-e à un raffut : cris, joie, querelles, jeux, pleurs d’enfants. Ça ressemble, du point de vue sonore, à un lâchage d’animaux enfermés depuis longtemps… Normal car, trop souvent, les récréations sont considérées comme des défouloirs ou comme des tampons entre deux temps scolaires plus « sérieux ».
Pourtant, cette période est essentielle pour le développement physique, émotionnel et social des enfants. C’est un espace de libération du corps, de la tête, de la voix qui crée de la respiration, de la détente, de la centration, du ressourcement… une sorte de « re-création » de soi pour reconstituer de l’attention et de la force de travail nécessaires aux apprentissages scolaires et à la vie de classe et de groupe. C’est aussi un espace de socialisation où chacun-e doit faire avec les autres, partager un lieu, des activités, des objets, des adultes… donc, forcément, des émotions surgissent, des tensions et des conflits apparaissent.
C’est également un espace d’expression et de créativité. Dans les cours d’école, certain-e-s enfants reproduisent des jeux traditionnels (la marelle, les osselets, chat perché…) ou en inventent de nouveaux en s’inspirant des anciens. D’autres enfants jouent avec les derniers gadgets ou le matériel mis à disposition en les détournant. De nombreux espaces se transforment : le préau en grotte, les espaces verts (quand il y en a) en forêts, les bancs en ponts…
De plus, c’est un espace libéré de certaines contraintes. La récré est un lieu de vie capital, tout aussi éducatif que le reste du temps passé à l’école dont les enfants ont besoin. En priver les enfants est un non sens éducatif !
Bien que cela puisse ressembler à un espace anarchique, la récréation est une micro-société organisée autour de règles sociales où les enfants apprennent à jouer ensemble, et ce, dès l’entrée en maternelle. Ce n’est pas simple, car cohabiter sur un même terrain exige de se mettre d’accord, de faire des concessions, de s’accepter. Or, comme dans tous les collectifs, les relations entre les individus sont complexes, influencées par les normes sociales et les habitudes importées de l’extérieur (famille, média…). Des mécanismes s’installent : alliance, rivalité, lutte de pouvoir, violence, isolement, harcèlement parfois réels, parfois « pour de faux » pour extérioriser les pulsions agressives. Les enfants s’entraînent aux rapports humains.
Demandons-nous où se trouvent les adultes pendant les récréations et ce qu’ils-elles y font : observer, jouer avec les enfants, animer des activités ou « surveiller », faire le gendarme, papoter… ? Leurs comportements et leur posture influencent le climat et les rapports entre les enfants.
Si les adultes se montrent peu concerné-e-s par ce qu’il se passe dans la cour, s’ils-elles laissent les enfants livré-e-s à eux-elles-mêmes et réagissent surtout pour réprimander lorsque leur aide est sollicitée, les enfants ne se sentent pas contenu-e-s. De même, si les adultes sont trop présent-e-s et le cadre trop strict, les enfants ne peuvent pas s’approprier les espaces, faire leurs expériences, s’auto-réguler, décompresser. Si on y ajoute de la pression et du stress (vite vite faire pipi, manger, boire, se déplacer…), le climat se détériore : la violence et les incidents augmentent.
Chaque professionnel-le doit donc faire un travail difficile d’équilibriste et réfléchir à ses attitudes et à ses actions pour soutenir tout-te-s les enfants dans leurs activités. Pour compliquer le travail des professionnel-le-s, la récréation est souvent gérée par des personnes différentes de l’équipe éducative (enseignant-e-s, accueillant-e-s, éducateur-trice-s…) qui ne se croisent pas ou peu et pour qui aucune période de concertation n’est mise en place.
Comment, dès lors, construire et porter ensemble un projet pédagogique pour ces temps de récré ? Comment être d’accord entre adultes sur ce qui est permis ou pas et proposé aux enfants ? Comment être cohérent-e-s dans son action éducative ? Et comment ne pas rendre les enfants complètement perdu-e-s face aux contradictions ?
Pour éviter l’effet jungle, on peut réfléchir aux espaces mis à disposition pendant la récréation. Afin que chaque enfant trouve une place et un endroit qui lui conviennent, rendre accessibles simultanément des espaces extérieurs et intérieurs (même quand la météo est bonne) permet de varier les possibilités d’activités : des plus calmes, plus « créatives », d’autres plus animées... Autoriser les enfants à utiliser des recoins dans lesquels ils-elles peuvent se soustraire du regard des autres, non pas pour y faire des choses interdites, mais simplement pour se mettre en retrait de la collectivité, parfois fatigante.
Proposer également des aménagements et du matériel simples, mais diversifiés et en quantité suffisante encourage l’activité : coin doux, tables dressées en guise de chevalet, peinture, jeux extérieurs (craies, balles, élastiques, raquettes…), livres, feuilles, colles, paires de ciseaux… sans nécessairement prévoir de modèle à respecter. Ainsi, chacun-e peut y trouver son compte.
À condition, évidemment, que le cadre (règles et fonctionnements) soit clairement posé, au départ, par les adultes pour garantir la sécurité et la quiétude pour tout le monde. Ensuite, il doit être discuté et retravaillé avec les principaux et principales intéressé-e-s : les enfants. Exprimer leurs ressentis, entendre les autres, réfléchir à la manière de coexister et participer aux prises de décisions qui les concernent entraînent les enfants au vivre ensemble et développent leurs capacités de régulation.
De cette manière, chacun-e (adultes compris-es) est pris-e en compte et participe à l’amélioration de la récréation : les activités proposées s’ajustent aux envies, les fonctionnements s’adaptent aux réalités, les espaces et aménagements se transforment selon les usages…
Arrêtons les tristes constats et le fatalisme « C’est la jungle ! ». Arrêtons de vouloir contrôler totalement la récréation. Envisageons-la comme un vrai temps de vie dans la journée des enfants. Et proposons des récréations joyeuses dans une ambiance sereine où chacun-e s’épanouit et où il est possible de choisir de faire des choses, de faire autre chose, de ne rien faire…
Alors au boulot, les adultes, pour en prendre soin, y être présent-e-s, y réfléchir et l’organiser en équipe avec la participation des enfants !